Le Conseil fédéral vient de prononcer par voie d'ordonnance la suspension de toutes les procédures de poursuites, ce que la loi (art. 62 LP) permet en cas d'épidémie, en l'occurrence celle du SARS-CoV-2. La suspension a déployé ses effets le 19 mars à 7h00 et prend fin le 4 avril à minuit. Ensuite de quoi, heureuse coïncidence, les féries de Pâques prennent le relais.
La suspension en raison d'épidémies constitue un cas extraordinaire de suspension, collective, destinée autant à protéger les débiteurs que les créanciers. Elle doit être expressément décidée par le Conseil fédéral, pour une période temporellement limitée.
Il existe en temps normaux d'autres cas légaux de suspension individuelle protégeant un débiteur dans une situation particulière, et qui sont automatiques : service militaire, service civil ou protection civile, décès du conjoint ou partenaire enregistré, emprisonnement ou encore maladie grave (qui peut aussi s'appliquer à des malades atteints du Cov-19 pour la durée de leur maladie, indépendamment de la suspension générale, mais limitée dans le temps, décidée par le Conseil fédéral).
Pendant une suspension des poursuites, aucun acte de poursuite n'est censé être entrepris à l'encontre d'un débiteur par les autorités d'exécution que sont les offices des poursuites, les autorités de surveillance, ou encore les tribunaux statuant en matière de mainlevée sur opposition et dans une certaine mesure en cas de faillite et de sursis concordataire.
Par actes de poursuite, il faut entendre, selon la définition consacrée par le Tribunal fédéral, tous les actes des autorités d'exécution (cf. ci-dessus) qui tendent à introduire ou à continuer la procédure en vue de satisfaire le créancier par la voie de l'exécution forcée sur les biens du débiteur et qui portent atteinte à la situation juridique de ce dernier.
Il existe une casuistique importante, mais parfois contradictoire, à propos de la notion d'actes de poursuite sujets à suspension. Les principes suivants peuvent néanmoins être dégagés.
Sont réputés constituer des actes de poursuite frappés par la suspension la notification d'un commandement de payer, la saisie, la saisie sur salaire, la réalisation des actifs par la voie de la vente aux enchères ou de gré à gré.
Certaines procédures judiciaires et jugements sont également concernés par la suspension. Il s'agit de la citation à comparaître à une audience de mainlevée, du délai imparti au débiteur pour se déterminer sur une requête de mainlevée du créancier, et de l'octroi et de la notification de la mainlevée provisoire et définitive. En revanche, les jugements tranchant matériellement un litige (reconnaissance de dette, libération de dette, action en annulation ou suspension de la poursuite) ne sont pas visés par cette suspension décrétée par notre gouvernement.
En matière de faillite, la commination de faillite, la convocation par le juge du débiteur à l'audience fixée pour statuer sur une réquisition de faillite et la notification du jugement de faillite constituent des actes de poursuite objets de la suspension. La faillite sans poursuite préalable est à traiter comme un acte de poursuite ; cela signifie que les avis de surendettement (725 al. 2 CO) doivent être effectués, mais qu'une audience de faillite ne peut pas être convoquée pendant la suspension, et donc qu'un jugement de faillite ne devrait pas non plus être prononcé pendant la durée de la suspension, ce d'autant que nombre de Tribunaux, dans plusieurs cantons ont ajourné sine die leurs audiences civiles. Les liquidations de faillites déjà prononcées ne sont a priori pas touchées par la suspension. L'office des faillites devra pouvoir continuer à agir et officier.
Les mesures conservatoires, c'est-à-dire les mesures urgentes, destinées à garantir le bon déroulement et l'effectivité des procédures d'exécution forcée, ne sont pas concernées : il en va ainsi du séquestre civil, de la prise d'inventaire, ou encore des mesures de blocage prononcées par le juge avant une faillite.
L'effet de la suspension en cas d'épidémie sur les incombances et obligations des créanciers est peu clair ; cela s'explique par la rareté de la mesure d'une suspension pour cause d'épidémie, qui a pour corollaire une équivalente rareté en matière de décisions de tribunaux et de pratique des offices. La suspension n'empêche en tous les cas pas un créancier d'entreprendre des démarches contre un débiteur (réquisition de poursuite, de continuation de la poursuite, réquisition de vente, réquisition de faillite etc.) ; ses démarches ne seront cependant pas suivies d'actes par les offices des poursuites et faillites. Si la créance détenue par le créancier risque d'être atteinte par la prescription, ce dernier n'aura d'ailleurs pas d'autre choix que de déposer une réquisition de poursuite pour préserver ses droits. Les offices des poursuites, quant à eux, peuvent continuer de travailler leurs dossiers et de préparer des notifications qui interviendront à l'échéance de la suspension.
Il faut admettre que les actes de poursuite effectués pendant la suspension des procédures de poursuite prononcée en raison d'une épidémie sont frappés de nullité; à situation exceptionnelle, sanction exceptionnelle.
Les délais (dies ad quem), quant à eux, ne cessent pas de courir pendant la suspension, mais sont prolongés jusqu'au troisième jour utile suivant la suspension, samedi, dimanche et jours légalement fériés non compris. Vu l'échéance décidée au 4 avril, qui est immédiatement suivie des féries de Pâques, lesquelles ont le même effet que la suspension, les délais seront en fait pour la plupart reportés au 22 avril 2020.
Elle vient d'être complétée par une décision, très attendue, en lien avec les procédures civiles et administratives: exceptionnellement, les féries de Pâques vont durer du 21 mars au 19 avril.